Septembre 2025 restera une date marquante dans l’histoire du droit social français. Le 10 septembre, la Cour de cassation a opéré un revirement complet de sa jurisprudence sur une question qui semblait pourtant tranchée depuis près de trente ans : que se passe-t-il quand un salarié tombe malade pendant ses congés payés ? La réponse bouleverse les pratiques RH de milliers d’entreprises.
Jusqu’à cette décision, un salarié en arrêt maladie durant ses vacances perdait définitivement ces jours de congé. Désormais, il peut les reporter. Ce changement ne sort pas de nulle part : il fait suite à des années de pression européenne et à une mise en demeure envoyée à la France quelques mois plus tôt par la Commission européenne. La tension entre le droit français et les exigences de Bruxelles vient de se dénouer, avec des conséquences immédiates pour tous les acteurs.
Entre la loi du 22 avril 2024 qui a modifié les règles d’acquisition des congés pendant un arrêt maladie de courte durée ou de longue durée et ce revirement jurisprudentiel récent, les employeurs doivent revoir leurs pratiques de gestion des absences. Les salariés, eux, découvrent de nouveaux droits qu’ils ignoraient parfois totalement. Acquisition de congés pendant la maladie, modalités de report, obligations de notification : le paysage juridique a radicalement changé en quelques mois.
Le revirement historique de la Cour de cassation
Ce qui était permis avant septembre 2025
Pendant près de trois décennies, la position française était claire, peut-être même trop rigide. Un arrêt de la Cour de cassation datant du 4 décembre 1996 avait posé le principe : un salarié qui tombe malade au cours de ses congés payés ne peut pas exiger de reporter ces jours. Point final. L’employeur était considéré comme ayant rempli son obligation dès lors qu’il avait accordé les congés demandés. Peu importait que le salarié ait passé ses vacances cloué au lit avec une grippe ou hospitalisé.
Cette jurisprudence créait une situation paradoxale. Les congés étaient « consommés » alors même que leur finalité – permettre au salarié de se reposer et de profiter d’une période de détente – n’était pas remplie. Seule exception à cette règle stricte : les arrêts pour accident du travail ou maladie professionnelle permettaient un report, mais uniquement dans ces cas précis. Pour tous les autres arrêts maladie, même graves, le salarié perdait ses jours de congé.
L’arrêt du 10 septembre 2025 : un changement radical
L’arrêt n°23-22.732 publié au bulletin de la Cour de cassation marque une rupture totale avec cette doctrine. La chambre sociale reconnaît désormais que le salarié placé en arrêt maladie durant ses congés payés peut demander le report des jours de congé qui coïncident avec sa période d’arrêt de travail. La Cour s’appuie sur une distinction fondamentale : les congés payés ont pour finalité de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs, alors que l’arrêt maladie vise le rétablissement de la santé. Ces deux objectifs diffèrent profondément.
Concrètement, un salarié qui tombe malade le troisième jour de deux semaines de vacances pourra désormais récupérer les jours restants, à condition – et c’est essentiel – d’avoir notifié son arrêt de travail à l’employeur pendant la période concernée. Sans cette notification, pas de droit au report. Cette exigence permet aux entreprises de suivre les absences et d’éviter les demandes abusives ou tardives.
Ce revirement aligne enfin la France sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, établie dès 2012 dans l’affaire Anged (C-78/11). Pendant treize ans, le droit français est resté en décalage avec les principes européens.
La pression européenne qui a tout fait basculer
Ce changement n’est pas tombé du ciel. Le 18 juin 2025, la Commission européenne a envoyé une lettre de mise en demeure à la France, première étape d’une procédure d’infraction. Le message était direct : la législation française ne garantit pas que les travailleurs malades pendant leur congé annuel puissent récupérer ces jours. Elle ne respecte donc pas la directive 2003/88/CE sur le temps de travail et ne protège pas suffisamment la santé des travailleurs.
La France disposait de deux mois pour répondre et corriger la situation. L’arrêt de septembre arrive donc à point nommé pour éviter une condamnation européenne. Cette mise en conformité s’inscrit dans un cadre plus large : depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a une application directe. Et cette Charte stipule que tout travailleur doit bénéficier d’au moins quatre semaines de repos effectif.
L’acquisition des congés payés pendant l’arrêt maladie : les nouvelles règles
La loi du 22 avril 2024 modifie le Code du travail
Avant même le revirement de septembre, le législateur avait déjà commencé à bouger. La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne a profondément remanié le chapitre du Code du travail consacré aux congés payés. Les articles L. 3141-1 à L. 3141-33 ont été modifiés pour mettre fin à une anomalie : les salariés en arrêt maladie n’acquéraient aucun droit à congé pendant leur absence, sauf en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Cette situation créait une double peine pour les personnes confrontées à des maladies longues. Non seulement elles devaient gérer leur rétablissement, mais en plus elles perdaient progressivement leurs droits à congé. À la reprise du travail, certains salariés se retrouvaient avec un solde de congés quasi nul, rendant difficile toute récupération ou transition progressive.
La réforme assimile désormais les périodes d’arrêt maladie à du temps de travail effectif pour le calcul des congés payés. C’est un changement majeur qui touche potentiellement des centaines de milliers de salariés chaque année. Les entreprises doivent adapter leurs systèmes de paie et leurs processus RH pour intégrer ces nouvelles modalités de calcul.
Deux régimes d’acquisition selon l’origine de l’arrêt
Le législateur a établi une distinction selon la nature de l’arrêt de travail. Pour les arrêts liés à une maladie non professionnelle – les plus fréquents –, le salarié acquiert désormais 2 jours ouvrables de congés payés par mois d’absence. Mais attention, cette acquisition est plafonnée : elle ne peut dépasser 24 jours ouvrables par période de référence, soit l’équivalent de quatre semaines.
Ce plafond correspond exactement au minimum légal européen. Un salarié absent toute l’année pour maladie ordinaire pourra donc acquérir au maximum 24 jours, même si selon le calcul brut (2 jours × 12 mois) il pourrait prétendre à davantage. Cette limitation évite une accumulation excessive de congés et maintient un équilibre entre protection du salarié et contraintes organisationnelles de l’entreprise.
Pour les arrêts liés à un accident du travail ou une maladie professionnelle, le régime est plus favorable. Le salarié conserve l’acquisition classique de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif, et cette fois sans limitation dans le temps. La logique est simple : l’employeur porte une part de responsabilité dans ces situations, notamment par l’obligation de prévention. Il est donc normal que le salarié victime d’un accident du travail ne subisse aucune pénalité sur ses droits à congé.
L’articulation avec les indemnités : un casse-tête pour la paie
Ces nouvelles règles d’acquisition soulèvent des questions pratiques pour les services RH et paie. Les congés acquis pendant un arrêt maladie donnent droit à une indemnité de congés payés lors de leur prise, calculée selon les règles habituelles : soit le dixième de la rémunération brute totale, soit le maintien du salaire, en retenant la solution la plus favorable au salarié.
Pendant l’arrêt maladie, le salarié perçoit des indemnités journalières de la Sécurité sociale, complétées souvent par un maintien de salaire de l’employeur selon les dispositions conventionnelles. Les congés acquis durant cette période viendront s’ajouter aux droits existants et pourront être pris ultérieurement, après la reprise du travail. Cela signifie que certains salariés reviendront avec un solde de congés parfois conséquent.
En cas de rupture du contrat de travail, l’indemnité compensatrice de congés payés doit intégrer tous les jours acquis, y compris ceux accumulés pendant les arrêts maladie. Les directions des ressources humaines doivent donc suivre précisément ces acquisitions pour éviter tout litige au moment du départ du salarié. Un oubli peut coûter cher, surtout si le salarié a connu plusieurs arrêts longs au cours de sa présence dans l’entreprise.
Comment reporter ses congés payés en cas d’arrêt maladie ?
La notification : une condition impérative
Le droit au report ne joue pas automatiquement. La Cour de cassation a posé une condition claire dans son arrêt de septembre : le salarié doit avoir notifié son arrêt de travail à l’employeur pendant la période de congés concernée. Cette obligation n’est pas une simple formalité administrative, elle conditionne l’existence même du droit au report.
Concrètement, un salarié en vacances qui tombe malade doit transmettre son arrêt de travail à son employeur dans les mêmes délais que s’il était en activité – généralement dans les 48 heures. Les justificatifs médicaux doivent être envoyés selon les modalités habituelles de l’entreprise : courrier recommandé, plateforme RH, ou tout autre système mis en place. Cette transmission permet à l’employeur de suivre en temps réel les situations et d’ajuster la gestion des congés.
Sans cette notification, pas de report possible. Un salarié qui attendrait la fin de ses congés pour informer son employeur qu’il a été malade pendant une partie de ses vacances ne pourrait pas bénéficier du dispositif. Cette règle protège les entreprises contre les déclarations tardives ou les tentatives de récupération a posteriori de jours de congé déjà pris.
La distinction entre un arrêt survenant juste avant les congés et un arrêt durant les congés mérite aussi d’être précisée. Dans le premier cas, si l’arrêt débute avant le départ en vacances prévu et se prolonge pendant la période initialement planifiée, le principe du report était déjà acquis. Les congés n’ont jamais vraiment commencé puisque le salarié était en arrêt de travail. La nouveauté de septembre 2025 concerne vraiment les situations où le salarié part effectivement en congés puis tombe malade pendant cette période.
Durée et modalités pratiques du report
Une fois l’arrêt notifié, les jours de congé coïncidant avec la période de maladie sont automatiquement reportés. Mais combien de temps le salarié dispose-t-il pour prendre ces jours récupérés ? La jurisprudence et les accords collectifs prévoient généralement un délai de report de 15 mois à compter de la fin de la période de référence initiale.
Ce délai permet une certaine souplesse. Un salarié qui aurait été malade en août 2025 pendant ses congés d’été pourrait ainsi reporter ces jours et les prendre jusqu’en novembre 2026, par exemple. Cette période de 15 mois correspond aussi à la durée maximale pendant laquelle les droits à congés peuvent être conservés selon les règles générales du Code du travail.
L’employeur doit informer le salarié de ses droits au report lors de sa reprise du travail. Cette obligation d’information, souvent négligée, est pourtant essentielle. Le salarié qui reprend après un arrêt maladie survenu pendant ses congés doit connaître précisément son solde de congés restants et les modalités pour les poser. Un document récapitulatif remis à la reprise permet d’éviter les malentendus et de planifier sereinement la prise des jours reportés.
Droits et responsabilités de chacun
Le report des congés crée des obligations réciproques entre employeur et salarié. L’employeur doit gérer rigoureusement les compteurs de congés, mettre à jour ses systèmes d’information et s’assurer que les managers sont formés à ces nouvelles règles. La tentation pourrait être grande, dans certaines structures, de « simplifier » en considérant que tous les congés posés sont définitivement pris. Ce serait une erreur qui exposerait l’entreprise à des contentieux.
Le salarié, de son côté, porte la responsabilité de la notification rapide et complète de son arrêt. Il doit aussi planifier la prise de ses jours reportés dans le délai imparti. Un salarié qui accumulerait des jours reportés sans jamais les poser prendrait le risque de les voir prescrits au-delà de la période de 15 mois. La jurisprudence européenne admet que des limites temporelles au report soient fixées, à condition qu’elles permettent réellement au salarié d’exercer son droit.
La question du refus de l’employeur peut aussi se poser. Peut-il refuser que le salarié pose ses jours reportés ? En principe non, dès lors que ces jours sont acquis et que le salarié respecte les règles de pose des congés de l’entreprise. Toutefois, l’employeur conserve son pouvoir de fixer les dates de départ en congés pour des raisons d’organisation. Un dialogue s’impose donc pour trouver des dates acceptables qui concilient les besoins du salarié et les contraintes de l’activité.
Les conséquences pratiques pour les entreprises
Repenser toute la gestion des absences et des congés
Le changement juridique de 2025 ne se limite pas à une simple mise à jour de procédure. Il impose aux entreprises de revoir complètement leur approche de la gestion des absences. Les services RH doivent désormais croiser deux types d’informations qui restaient jusqu’ici séparés : les périodes de congés payés posées et les arrêts maladie reçus. Cette connexion entre les deux systèmes n’était pas nécessaire auparavant.
Les logiciels de gestion des temps et des absences doivent être paramétrés pour détecter automatiquement les situations où un arrêt maladie chevauche une période de congés. Certains SIRH proposent déjà des modules adaptés, mais beaucoup d’entreprises travaillent encore avec des outils qui ne prévoient pas cette fonctionnalité. Le risque d’erreur manuelle augmente mécaniquement quand les volumes sont importants.
La formation des managers de proximité devient aussi un enjeu. Ce sont eux qui valident les demandes de congés, qui reçoivent parfois les premiers les informations sur les arrêts maladie de leurs équipes. Ils doivent comprendre les nouvelles règles pour expliquer aux salariés leurs droits et éviter de donner des informations erronées qui engageraient l’entreprise. Un manager qui affirmerait à un salarié qu’il a perdu ses congés malgré sa maladie créerait une situation juridiquement fragile.
Risques juridiques et contentieux potentiels
Le non-respect du droit au report expose l’entreprise à des contentieux devant les prud’hommes. Un salarié qui n’aurait pas pu reporter ses congés malgré un arrêt maladie correctement notifié pourrait obtenir des dommages et intérêts. Les juges pourraient également ordonner le paiement d’une indemnité compensatrice pour les jours de congés non pris, majorée des congés acquis non pris.
La question des demandes rétroactives inquiète particulièrement les directions juridiques. Des salariés pourraient-ils réclamer le report de congés perdus lors d’arrêts maladie survenus avant septembre 2025 ? Juridiquement, l’application dans le temps de cette jurisprudence reste floue. Certains avocats estiment que l’arrêt de la Cour de cassation pourrait avoir un effet rétroactif, au moins pour les situations non prescrites. D’autres considèrent qu’il ne s’applique qu’aux arrêts postérieurs à septembre 2025.
Cette incertitude crée une zone de risque pour les entreprises. Une stratégie prudente consisterait à examiner les situations récentes – deux à trois ans en arrière – où des salariés ont été en arrêt maladie pendant leurs congés et à proposer proactivement un report ou une compensation. Cette démarche pourrait prévenir des contentieux coûteux et préserver le climat social. Attendre passivement les réclamations serait plus risqué, d’autant que les délais de prescription en droit du travail peuvent être longs.
Impact organisationnel et financier à anticiper
L’allongement potentiel des absences cumulées pose des défis opérationnels. Un salarié qui tombe malade trois semaines pendant ses quatre semaines de congés d’été reviendra avec trois semaines à reporter. S’il prend ces trois semaines en septembre ou octobre, l’entreprise devra gérer six semaines d’absence consécutives pour un seul salarié, là où elle n’en prévoyait que quatre. La planification des effectifs devient plus complexe, surtout dans les petites structures où chaque absence pèse lourd.
Les coûts de gestion augmentent aussi. Les équipes RH doivent consacrer plus de temps au suivi individualisé des situations, à la vérification des notifications, au recalcul des soldes de congés. Dans les grandes entreprises qui comptent des milliers de salariés, même si seul un faible pourcentage est concerné chaque année, le volume de travail administratif supplémentaire reste significatif. Des audits internes seront nécessaires pour vérifier que les règles sont bien appliquées partout.
Sur le plan financier, l’impact n’est pas négligeable. Les provisions pour congés payés dans les comptes de l’entreprise doivent intégrer ces nouveaux droits acquis pendant les arrêts maladie et les jours potentiellement reportés. Les commissaires aux comptes scruteront ces postes avec attention lors de la clôture des exercices. Une mauvaise évaluation des provisions pourrait affecter la sincérité des comptes et poser des problèmes lors des audits.
Conclusion
Le paysage juridique des congés payés vient de basculer en quelques mois. Entre la loi d’avril 2024 qui a ouvert l’acquisition de congés pendant les arrêts maladie et le revirement de septembre 2025 qui autorise le report en cas de maladie durant les vacances, les règles que tout le monde appliquait depuis des décennies sont devenues obsolètes. Cette double évolution rapproche enfin la France des standards européens, même si la transition crée des turbulences dans les services RH.
Pour les salariés, c’est une avancée notable. Ils ne perdent plus leurs droits à repos quand la maladie frappe au mauvais moment. Pour les employeurs, c’est un défi organisationnel et financier qu’il faut affronter avec méthode : mise à jour des systèmes, formation des équipes, vigilance sur les notifications. Les entreprises qui négligeront ces adaptations s’exposent à des contentieux qui pourraient coûter cher.
La Cour de cassation elle-même a indiqué qu’une intervention du législateur serait souhaitable pour préciser certains points : durée exacte du report, gestion des situations transitoires, articulation avec les conventions collectives. D’ici là, chaque entreprise doit trouver son équilibre entre protection des droits des salariés et maîtrise de ses contraintes opérationnelles.
Des outils comme Factorial permettent justement de gérer ces évolutions complexes en automatisant le suivi des absences, en croisant les données de congés et d’arrêts maladie, et en assurant la conformité avec ces nouvelles obligations légales. Parce qu’aujourd’hui, une bonne gestion RH ne se fait plus sans les bons outils.